Années 90 : la rencontre et la période Arcachon.
A l’époque, j’habitais Arcachon-Marines, près du port de La Teste. Faisant partie du Dynamic Club Panhard, et n’ayant qu’une Citroën Dyane 6 (mais double carburateur quand même, waip m’sieur-dames), je souhaitais au plus vite acquérir un véhicule ancien. Chaque fois que j’allais voir ma famille, le WE sur Bazas, je prenais la D3 passant entre autres par St Symphorien. Depuis quelques mois, à la station service qui faisait aussi garage, une 4CV était exposée pour la vente, donc je passais devant au moins deux fois par semaine.
Peinte façon « Charleston », elle aurait fait hurler les puristes puisque sa couleur d’origine, visible encore à l’intérieur des portes, était bleu canard.
Construite en 1960, version R1062, elle avait les roues d’une Dauphine – et non celles « à étoile » typiques.
Un coup de cœur et 16 000,00 F (2 400,00€), en cash, plus tard elle était à moi !
Il faut dire que la version découvrable avait été le premier véhicule de mon père, à une époque où, dans mon village, les véhicules étaient encore rares et où les voisins osaient demander de se faire transporter ( une époque qui est en train de revenir avec le prix de l’essence galopant et la vogue écolo qui encourage le vélo et le covoiturage) …
J’avais aussi envie de connaître ce véhicule.
Au club Panhard, on m’expliqua qu’avec 5 000,00 F j’en aurais eu une correcte …
Et c’est vrai qu’elle était tout juste roulante. Je compris bientôt pourquoi mon vendeur était surnommé, par les gens du coin « M. Toutneuf », un vendeur qui aussi devait connaître un gars du Contrôle Technique : super cool …
Une nuit d’été sur la voie rapide, aux environs de la sortie de Gujan, je m’arrêtais au feu tricolore – je rappelle qu’à l’époque il y en avait – tous remplacés par des ronds-points aujourd’hui. A l’arrêt la voiture cala, et l’éclairage s’éteignit : impossible de mettre les feux de détresse. Il faisait nuit, j’apercevais au loin les phares d’un camion qui arrivait à fond. Heureusement qu’une 4CV est très facilement maniable et que je n’étais pas seule : à deux on a eu juste le temps de mettre le véhicule sur le côté et de se faire klaxonner copieusement par le routier. Premier coup d’adrénaline !
Une fois les cosses de batterie et leurs câbles aléatoires, puis la batterie elle-même en 6 volt remplacés, j’avais remarqué que la biellette de commande d’accélérateur, en matière plastique grise d’origine, avait du jeu au niveau des articulations. On trouvait encore des pièces de 4CV dans les casses auto, on en avait récupéré d’autres, au cas où. Je ne savais pas que rien ne valait les pièces neuves ! A l’époque les fabricants de pièces détachées ne proposaient pas tout. Après avoir eu l’expérience de biellettes mal emboîtées parce que déformées et trop larges, tombant en pleine accélération (le moteur se met à hurler brusquement et le véhicule n’avance plus, ça fait vraiment bizarre), même si c’était facile de remboîter les têtes pour pouvoir repartir, finalement je préférais un bricolage maison avec une tige filetée et deux embouts métalliques. Ils sont encore sur le moteur et n’ont jamais bougé, près de 30 ans plus tard; tant pis pour les puristes, et même si certains sites spécialisés en proposent !
Toute l’année je faisais le trajet Bordeaux-Arcachon.
L’été c’était très agréable de conduire sans ceinture, surtout quand je croisais les gendarmes qui, au lieu de me verbaliser, me témoignaient de la sympathie. De toutes les façons, je ne pouvais pas commettre beaucoup d’excès de vitesse : à partir de 85 km/h, le grand volant vibrait et faisait des écarts imprévisibles de plus de 5 cm, et il fallait l’agripper de toutes ses forces afin de limiter les dégâts. J’ai quand même souvent dépassé les 100 km/h sur l’autoroute.
L’hiver c’était une aventure. Je prévoyais environ 15 mn de plus afin de pouvoir partir correctement. Comme la 4CV dormait sur le parking d’Arcachon Marines, je la protégeais avec un vieux drap housse. Je la démarrais, et ensuite je m’occupais des vitres. Lorsqu’il y avait du brouillard givrant, ce dernier se déposait juste après que l’on ait enlevé le tissus, et donc il fallait gratter le givre. Le temps de faire le tour du véhicule et ça avait re-givré … Heureusement le chauffage du moteur mettait fin à tout ça, mais il m’est arrivée de commencer à conduire avec les petites fenêtres avant (qui peuvent pivoter) ouvertes ! Pour terminer le tableau, l’isolation était tellement inexistante que je conduisais avec un plaid sur les genoux. Ce n’est que 45 mn plus tard que la voiture avait enfin les fenêtres sèches et que l’habitacle avait obtenu une température agréable.
Années 90 : le traumatisme, à Bègles, rue Henri Wallon
Quelques années plus tard je vivais à Bègles, rue Henri Wallon, dans une splendide vieille bâtisse découpée en plusieurs appartements et rénovée à l’économie. Un T3 plutôt vaste, pour 750,00€ seulement – 110,00€, hé oui, c’était avant -, et beaucoup de place pour garer les véhicules. Une série de garages individuels était en construction; il n’y avait que les murs en parpaing et les travaux étaient en suspend. J’avais envie de faire des améliorations sur la 4CV, donc je la stockais dans l’un de ces box ouverts. Je m’étais aussi rapprochée du club Renault et avait eu d’excellents échanges. Je ne me souviens plus pourquoi j’avais démonté les roues avant et posé la 4CV sur des chandelles.
Parmi mes voisins venait de s’installer un couple explosif de culture mixte, madame d’origine gens du voyage et monsieur d’origine maghrébine. Ils recevaient à toute heure, et leur appartement baignait dans une ambiance musicale qui ne me dérangeait pas, mais parfois ce festif était entrecoupé d’épisodes moins marrants : scènes de ménages et disputes sévères avec leurs visiteurs. Un soir que je revenais du cinéma, je remarquais sur la porte d’entrée des taches évidentes de sang. D’autres voisins m’expliquèrent qu’ils avaient dû appeler les secours, sûrement suite à une soirée « lancer de couteau » organisée par le couple, qui avait dégénéré.
C’est dans ces circonstances que j’ai vécu mon second coup d’adrénaline : un matin, la 4CV avait disparu !
Je me dis alors, qu’une ancienne Renault sans ses roues avant, qui plus est, peinte « charleston », ne devait pas passer inaperçue.
Mon premier réflexe fut d’appeler les gens du club Renault, dont certains membres étaient routiers. Effectivement, l’un d’entre eux avait été intrigué de voir un fourgon blanc tracter une 4CV sans ses roues, vers 4h du matin. Ensuite, j’avertissais mes amis du club Panhard, et enfin les gendarmes.
Bizarrement, le couple habituellement très bruyant devint brusquement absolument silencieux … Et pourtant leurs véhicules étaient là ! C’en était tellement inquiétant que j’étais sûre que la Renault avait été embarquée par certains de leurs amis, avec leur complicité ou non. Je n’avais vraiment pas envie de les attaquer de front : le sang sur la porte m’était resté en mémoire…
Très vite j’ai eu des nouvelles par le club Panhard, dont l’un des membres connaissait un garagiste qui connaissait très bien le patriarche d’un important camp des gens du voyage. Ma voiture était bien dans le camp, et n’avait pas été désossée tout simplement parce que j’avais laissé la carte grise dans le véhicule, comme quoi parfois deux énormes imprudences s’annulent, afin de créer une chance !
Je remplis mon autre véhicule ( la Dyane 6 ) avec des amis, tous autant enragés que moi, et nous décidâmes d’aller en repérage sur les lieux, en plein jour à fond la caisse … Une fois sur les lieux, nous comprîmes que les gros bras habitués à conduire des fourgons et de puissantes berlines devaient trouver distrayant ce moustique à refroidissement par air faisant un tour sans s’arrêter et repartant aussi vite que venu. Finalement nous n’étions pas suicidaires.
Moins d’une semaine après et quelques relations diplomatiques engagées pour moi, plus tard, je revoyais, le cœur battant, ma 4CV chez ce garagiste aux relations utiles. J’avais ramené les roues manquantes, mais la colonne de direction avait été endommagée et elle était non-roulante. De même le Neiman et la petite vitre du conducteur avaient été fracturés. La voiture trouva un havre de paix au club Panhard où on la retapa grâce aux pièces refaites à l’identique chez « Ichard ».
N’ayant pas envi que mes bienfaiteurs se fassent arrêter pour transport de voiture volée, je revenais le jour-même vers les gendarmes afin de déclarer mon véhicule retrouvé. Je tombais devant un fonctionnaire « zêlé », qui ne faisait aucun effort pour comprendre les péripéties de la 4CV. Epuisée, me sentant prête à perdre mon calme, je réussis à dire que j’allais revenir le lendemain. On ne me retint pas, mais un moment donné j’eu un doute, ce qui était quand même un comble !
Le lendemain, j’avais rendez-vous avec la chance. Je tombais sur un autre fonctionnaire qui, en regardant mes papiers, sourit avec nostalgie en me disant qu’il était originaire de la même ville que moi et effectua sans attendre les documents nécessaires à la remise en circulation de ma 4CV.
Années 2000-2020 : le long sommeil.
Vous vous doutez bien que je ne traînais pas à quitter Bègles que je ne supportais plus. Je revenais vers le Langonnais où j’y stockais la 4CV dans un garage fermé.
Chaque fois que je le pouvais, je la sortais, un peu…
De 2007 à 2019, elle n’a finalement plus bougé.
Maintenant que je viens d’adhérer aux Belles Calandres, j’espère que ma Belle pourra sortir de son Garage Dormant.
Cendrine